Pierre Rousseille

Carte d’identité

Né à Limoges en 1924

Décédé le 31 août 2019

Sa vie, ses œuvres

À Limoges, ses parents tiennent une herboristerie. Dès 10 ans il étudie le violon, avec facilité. Au lycée Gay-Lussac de Limoges, il se montre également doué pour les langues latines, la gymnastique… et le dessin. Le bac en poche, et après un bref passage en droit, il s’inscrit en 1944 aux Arts décoratifs de Limoges où il obtient de nombreux prix, ce qui l’amène à envisager un métier artistique.

Il se décide donc à partir pour Paris dès octobre 1945 où il s’inscrit à l’école des Beaux-Arts. Il fréquentera notamment l’atelier de lithographie de René Jaudon. De 1947 à 1950, il enseigne également le dessin dans les écoles de la ville de Paris et expose au Salon des moins de trente ans (47-48). Il étudie avec passion les classiques puis les contemporains dans l’effervescence de l’après-guerre.
Se revendique de l’Ecole de Paris.

Retour à Limoges où, après des travaux graphiques pour l’édition et de la décoration pour porcelaine, on lui confie la direction artistique d’une entreprise
d’industrie textile. Cette activité chronophage ne lui permet plus de consacrer assez de temps à ses travaux personnels, il décide de devenir professeur dans les écoles d’arts.

Il est nommé à l’école des Beaux-Arts de Lille en 1956. Il y dirigera l’atelier de décoration plane, de dessin, entre autres et enfin celui de peinture, jusqu’en 1986 (il enseignera également aux Beaux-Arts de Douai et au CEPRECO C.N.D.E. de Roubaix)/ Faute de pouvoir planter son chevalet en extérieur, il abandonne pour un temps la figuration pure pour un travail plus intérieur.

Larche, 1952

S’ouvre alors la période d’apparence abstraite. C’est ici, dans le Nord, en 1961, que naissent son écriture personnelle, son style.

Cette abstraction de type baroque ne rompt pas avec la nature, elle est sensorielle, intime et profonde… 

Vient ensuite une longue période dominée par l’aquarelle, qui par la rapidité de leur exécution permettent une approche plus instinctive, la sensibilité n’étant plus corrigée par la raison. Fusains, gouaches et pastels lui ouvrent les mêmes horizons.

Mai 1968 bouleverse ce travail. Les journées passées en discussions aux Beaux-Arts l’éloignent de la peinture. Il a besoin de manipuler les matériaux, de reprendre
contact physiquement avec la matière.

La sculpture s’impose à lui, le style reste le même.
D’abord en terre modelée, terres cuites ou crues. Puis en pâte « plastique ». Ses masques, Grimasques et langues sont issus de cette avalanche de visages expressifs rencontrés lors de débats passionnés.

L’expressionnisme revient en force. Dans les « Voyeurs », « Faciès » et « Facéties », les visages sont matérialisés exclusivement par des signes expressifs, non anatomiques .

Cette période reste nourrie par un travail de dessin quotidien : formes issues de la nature, suggestion de personnages, représentation organique des éléments naturels, toujours de mémoire.

Pendant toutes ces années il participe à diverses expositions mais
côtoie assez peu le milieu artistique de l’époque, absorbé par son enseignement et surtout ses recherches personnelles. 1981-1984 : les maladies, les décès successifs de ses parents l’éloignent de l’atelier, rien de décisif ne peut en sortir.

Il faut pourtant s’y remettre. Il eut besoin d’un but lointain et d’un projet illimité, dans l’espace et dans le temps. Il fallait aussi que tout ce qui pourrait se présenter comme incident de parcours, ou découvertes alternatives, puissent s’intégrer d’une manière ou d’une autre dans le travail en cours.

S’ouvre alors la période des portraits, portraits « de mémoire », graphiques au départ, progressivement enrichis par des techniques d’appoint, parties peintes et découpées, éléments matérialisés à l’aquarelle ou à la gouache.

Il quitte le Nord en 1986 pour s’installer dans le Lot. Et peut dès lors se consacrer entièrement à sa « peinture »

S’ensuit la série des « Collages organiques » où des images découpées sont privées de leur sens premier au profit de leurs seules qualités plastiques mobilise son énergie. De là, une multiplicité de sens et une diversité de résultats. Le changement de code plastique permet de faire surgir le sens, les expressions. Picasso comme Matisse ont ouvert les portes, mais ils étaient pratiquement toujours soumis à un modèle.

Une trentaine de collages furent transposés, à la peinture, sur des panneaux de bois de grand format.

Pamina

Tamino

Cadences et Variations

Après ces portraits et à l’écoute permanente de Mozart, une vingtaine de personnages des opéras de Mozart voient le jour (et furent exposés au Musée Henri Martin de Cahors en 2009).

Les collages disparaissent au profit de découpes de papiers, peints à l’huile, et assemblés.

Mozart et la musique sont aussi l’occasion d’un travail qui redevient plus abstrait, celui des « Cadences et Variations » sortes de polyphonies rythmiques dans lesquelles peu à peu la nature réapparait.

Portraits du temps retrouvé

De 1991 à 1995, l’envie de « portraire » s’impose à nouveau, avec le souci de représenter seulement les caractères, chacun d’entre-eux ayant son code plastique propre, sur papier et à la mine de graphite pure. Innombrables, ils constituent ce qu’il appela les « Portraits du temps retrouvé ».

Il mène, parallèlement, un travail d’esquisses ( toujours du portrait) , colorées cette fois et dans lesquelles on s’aperçoit du pouvoir de la distribution des couleurs ou de la superposition des divers effets graphiques, allant jusqu’à changer le sens même du tracé initial.

Avec, au bout, des « portraits signes », calibres graphiques de deux à cinq couleurs, s’articulant pour former un seul signe, un sigle composé de signes abréviatifs groupés synthétiquement pour une expression unique.

En 1995, il entame une longue série de portraits réalisés sur papier, à la laque glycérophtalique et/ou à l’acrylique, menant par là même un travail sur la matière picturale par le procédé des infiltrations (page suivante). Les dernières de ses œuvres trouvées dans son atelier participent de ce procédé. « La peinture ne me fait plus peur » déclara-t-il dans les années 90.

Manteau d’écorces

En flânant, le lézard

L’envol des canards

L’aigle bleu

Une poule aux œufs d’or

C’est également à la fin des années 90 qu’il ouvre un travail sur le Causse de Cajarc maintes fois parcouru, à pied, et où il aimait se perdre, ébloui par la rudesse et la beauté sauvage du lieu.

La faune rencontrée lui suggère les éléments d’un bestiaire, amalgame du minéral, du végétal et de l’animal.

Et dans le même temps, il s’attèle à de grandes compositions, à partir de fragments de papiers déjà peints, coupés ou déchirés. Son travail devient plus dense, plus « baroque » encore. Tantôt portraits, tantôt nature. Il y condense tout ce qu’il sait, tout ce qu’il a senti, et y mêle des situations mémorisées.

C’est l’époque de la plénitude et d’une liberté totale d’expression. L’aquarelle était le point de départ de sa libération par rapport à l’histoire de l’art, cette période constitue un aboutissement.

El macho

Homme de Camburat


Avant de crever, il éructe

Franco-Belge


Masque de fer

Critiques

« On se souvient de Cézanne, qui, lorsqu’il sollicitait les pommes ou la Sainte-Victoire, préfigurait le Qu’est-ce qu’une chose? d’Heidegger. Cézanne mit près d’un an à finir le portrait d’Amboise Vollard. Le portrait est-il encore possible aujourd’hui? se demande Pierre Rousseille, qui travaille volontiers par séries, auxquelles il s’adonne jusqu’à épuisement du désir.
Poser le problème du portrait, cest, en fait, soulever celui de toute l’histoire de la peinture, de sa pérennité même.
De «L’épouse du boulanger» du Fayoum aux femmes mauves de Van Dongen, passant par les croquis nerveux de Pisanello et les pastels de la Rosalba, les peintres ne se sont pas privés d e s’y intéresser. Ce sujet, d e son propre aveu, est lié au Nord, à l a formidable pression des visages ressentie durant les trente ans qu’il a passé à Lille : personnages réels, croqués de mémoire; ou personnages imaginaires, recréés, ils sont des substituts, qui varient infimement, mais peuvent le faire jusqu’à l’infini.
Plus qu’à des Daumier ou à des Grocz, je les assimilerais à des caractères littéraires. Que Pierre Rousseille, le limousin désormais installé à Figeac, soit notre Proust ou notre Saint-Simon, voilà le meilleur cadeau qu’il puisse faire aux gens du Nord. Le portrait est-il encore possible? Au moment où la peinture traverse une des plus grandes crises de son histoire, Pierre Rousseille démontre plastiquement (et c’est ce qui importe) qu’il est plus que jamais nécessaire »

Alain Leduc in Artension – 1989